Vicente Huidobro
(Chili)
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Je m’éloigne en silence comme un ruban de soie
Promeneur de ruisseaux
Tous les jours je me noie
Au milieu des plantations de prières
Les cathédrales de mes tendresses chantent la nuit sous I ‘eau
Et ces chants font les îles de la mer.
Je suis le promeneur
Le promeneur qui ressemble aux quatre saisons
Le bel oiseau navigateur
Etait comme une horloge entourée de coton
Avant de s’envoler m’a dit ton nom
L’horizon colonial est tout couvert de draperies
Allons dormir sous l’arbre pareil à la pluie
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Me voici au bord de I ‘espace et loin des circonstances
je m’en vais tendrement comme une lumière
Vers la route des apparences
Je reviendrai m’asseoir sur les genoux de mon père
Un beau printemps rafraîchi par I ‘éventail des ailes
Quand les poissons déchirent le rideau de la mer
Et le vide est gonflé d’un regard virtuel
Je reviendrai sur les eaux du ciel
J’aime voyager comme le bateau de I’oeil
Qui va et vient à chaque clignottement
Six fois déjà j’ai touché le seuil
De I’infini qui renferme le vent
Rien dans la vie
Qu’un cri d’antichambre
Nerveuses océaniques quel malheur nous poursuit
Dans I’urne des fleurs sans patience
Se trouvent les émotions en rythme défini
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Madame il y a trop d’oiseaux
Dans votre piano
Qui attire l’automne sur une forêt
Epaisse des nerfs palpitants et des libellules
Les arbres en arpèges insoupçonnés
Perdent parfois l’orientation du globe
Madame je supporte tout. Sans chloroforme
Je descends au fond de l’aube
Le rossignol roi de septembre m’informe
Que la nuit se laisse tomber entre la pluie
Trompant la vigilance de vos regards
Et qu’une voix chante loin de la vie
Pour soutenir l’espace décloué
L’espace si lourd d’étoiles qu’il va tomber
Madame dix heures sent le tabac d’artiste
Vous aimez le nadir au corps d’oiseau
Vous êtes un phénomène léger
Je m’en vais tout seul au couchant des touristes
C’est bien plus beau
(De Tout à coup, 1925)
POEME FUNERAIRE
A Guillaume Apollinaire
L’oiseau de luxe a changé d’étoile
Appareillez sons la tempête des larmes
Votre cercueil à voile
Où s’éloigne l’instrument du charme
Dans les végétations des souvenirs
Les heures autour de nous font les voyages
Il va vite
Il va vite poussé par les soupirs
La mer est chargée de naufrages
Et j’ai drapé la mer pour son passage
C’est ainsi le voyage primordial et sans billet
Le voyage instructif et secret
Dans les couloirs du vent
Les nuages s’écartent afin qu’il puisse passer
Et les étoiles s’allument pour montrer le chemin
Que cherches-tu dans les poches de ta veste
As-tu perdu la clef
Au milieu de ce bourdonnement céleste
Tu rencontres partout tes heures vieillies
Le vent est noir et il y a des stalactites dans ma voix
Dis-moi Guillaume
As-tu perdu la clef de l’infini
Une étoile impatiente allait dire qu’elle a froid
La pluie aiguisée commence à coudre la nuit
(De Autonmne régulier, 1925)
RELATIVITE DU PRINTEMPS
On ne peut rien faire contre les soirs de Mai
Quelquefois la nuit dans les mains se défait
Et je sais que tes yeux sont le fond de la nuit
A huit heures du matin toutes les feuilles sont nées
Au lieu de tant d’étoiles nous en aurons des fruits
Quand on s’en va on ferme le paysage
Et personne n’a soigné les moutons de la plage
Le Printemps est relatif comme l’arc-en-ciel
Il pourrait aussi bien être une ombrelle
Une ombrelle sur un soipir à midi
Le soleil est éteint par la pluie
Ombrelle de la montagne ou peut être des îles
Printemps relatif arc de triomphe sur mes cils
Tout est calme à droite et dans notre chemin
La colombe est tiède comme un coussin
Le printemps maritime
L’océan tout vert au mois de Mai
L’océan est toujours notre jardin intime
Et les vagues poussent comme des fougeraies
Je veux cette vague de l’horizon
Seul laurier pour mon front
Au fond de mon miroir l’univers se défait
On ne peut rien faire contre le soir qui naît
(De Automne régulier, 1925)
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BIO
Vincente Huidobro (Chili, 1893-1948). Père du créationnisme et l’un des auteurs les plus représentatifs de la poésie latino-américaine du XXe siècle. Il voyage très vite à Paris où il fera la connaissance des avant-guardistes. Il se lie d’amitié avec des artistes de grande renommée tels que Pablo Picasso, Juan Gris et Pierre Reverdy entre autres. De ses recueils se distinguent: Adán (1916), Le Miroir de l’eau (1916), Horizon Carré (1917), Equatorial (1918), Poèmes Arctiques (1918), Altazor (1931), Tremblement de ciel (1931), Voir et Palper (1941), Le Citoyen de l’Oubli (1941) et Derniers Poèmes (1948). Sa poésie exerce un charme particulier auprès du jeune public et dans l’actualité reste toujours l’objet d’études permanentes.