Roland Nadaus
UNE SECONDE + 59 AUTRES
Une minute
de terreur
pour une éternité de silence
–la terre aurait-elle fait
erreur elle aussi
en frissonnant à Haïti ?–
Frisson d’une seule
minute mais
frisson de planète
–et les hommes dormaient
comme sur un champ de mines :
pourquoi ce fut désastre d’astre–
Une minute à jamais
plus longue
que ses petites soixante secondes
–car le Temps compte lui
en milliers d’hommes-bâtons
sur l’ardoise noire d’Haïti–
Désormais à toute horloge à
ma montre-poignet chaque chiffre
affiché égrené me renvoie
à mon pouls de vivant qui bat qui bat
–dans le rêve des morts–
SOUFFLE DE VIE
On ne voit pas la plante
croître
–la graine se faire
plantule–
Sur l’autel de la terre
des mains bénissent
la croissance
–du souterrain royaume–
Se lève alors un fils d’Homme
il est debout
comme un grand framboisier
et ses millions de semblables
–qui cueillent une à une les étoiles–
SUR UNE VIEILLE CHANSON
Comme les feuilles
le Temps aussi se décompose
comme au compost les herbes
comme en terre les corps –enfouis–
Mais dans la décomposition du Temps
il y a de l’éternité immanente
et de l’attente d’Eternité
dans les âmes –séparées–
Dans le grand compost de la Vie
tout pourrit qui va donner naissance
et nourrir d’autres existences et même
nourrir le Temps –qui se poursuit–
Homme-végétal Femme-fleur
graine ou grain
l’hiver sera sur vous sans atteintes :
décomposé le Temps vous protège
–la durée n’est jamais qu’un instant–
QUI ?
Qui nous sauvera de l’éphémère
comme le grain semé en terre l’est
par son séjour dans la boue et la pourriture
par l’attraction de l’invisible
lumière –soleil au cœur des saisons-
mais enfouie par le labour des hommes –Qui
nous sauvera de l’hiver
intérieur, de ce désert qui nous habite
autant que nous l’habitons
de cette pampa sans présence
de cette toundra où l’absence rôde
comme un fantôme sans suaire –Qui
sauvera nos amours éphémères
au goût de toujours remâchés
comme un vieux chewing-gum amer
au goût de salives mêlées Qui
sauvera nos désirs de passage et de passagers
d’un train fantôme dans la vie brève –Qui
nous faisant pourrir nous aussi
nous fera à notre tour nourrir
le cycle de l’Eternité
nous relevant un jour sur nos pattes arrières
et jetant notre front vers le ciel
vers le grand lambeau des étoiles
QUI ?
QUATRE SAISONS
Mais ne t’étonne pas
qu’en moi coule une source
-et que gèle son eau
en hiver-
Quatre saisons pour tuer l’amour
Non ne t’étonne pas
que le subtil parfum
de la belle Dame en Noir
-soit celui d’une tombe-
Quatre saisons pour tuer l’amour
Et ne t’étonne plus
que mon cœur ait gelé
à son tour dans l’hiver
du désir mort
–et de ses faux-semblants–
Quatre saisons pour tuer l’amour
NAISSANCE D’UNE ALGUE
L’Océan Doux
de ma mère
à minuit m’expulsa
C’était la nuit du lendemain
déjà
et déjà j’étais
rejeté par la mer
Il ne faisait pas jour
mais la nuit était claire :
dès le début je sus
– que j’allais mourir de ça –
PREMONITION
D’enfer le cercle
désormais est brisé
Plus personne
ne ressemble à personne
Car plus rien
n’est fini
Tout est ouvert :
l’Amour nous attend
LUCERNAIRE
Voyant la lumière du soir
Haïti j’écris
ton nom dans l’encre noire
de cette nuit
blanche d’os écrasés
de gravats et de corps mêlés
de sang
–noir ordinaire comme tous les sangs caillés–
Voyant la lumière de ce sang
à d’autres invisible je t’écris
dans ta nuit Haïti
mille fois crucifiée déjà et depuis
plus de cinq cents ans d’homme et que tu cries
–Liberté !Liberté mes frères !–
Parvenu au couchant
de ma vie et voyant
ta lumière sombre illuminer
à nouveau le Nouveau Monde
Haïti je t’écris
–à l’adresse de Toussaint Louverture–
Toussaint que ce nabot de Napo
Léon à talonnettes fit mourir
de séisme lent
dans la froidure d’une basse-fosse avant
d’en faire brûler les restes à la chaux
–prophétique métaphore de ton aujourd’hui Haïti–
Il est digne de te célébrer
Haïti
et de te célébrer de voix saintes
en cette nuit d’horreur sans aurore
qu’une autre nuit
Car par tes morts et ton agonie
soudain tu redonnes Lumière
–à nos consciences éteintes–
LAC DES SIGNES
Dans les signes du Temps
reconnaître
–le Grand Signe–
et sur l’étang du Temps
voir passer le Grand Cygne
–blanc–
messager de la Fin
des Temps
–et de l’Aube Nouvelle–
Et puis agir comme si
la Mort avait perdu d’avance
–son avance–
Juger
le Temps
–comme une éternelle naissance–
Dont mourir ne serait
qu’un
–recommencement–
Et trouver l’or
caché
–dans la pierre de nos cœurs–
Pépite battant
au rythme
–de son Créateur–
Sang d’or fondu
au creuset du chaos et du quotidien
–du chaotidien–
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Kolafotos de Simone Moris + photos
Poète, romancier, pamphlétaire, conteur et chansonnier, Roland Nadaus a publié sous son nom une soixantaine d’ouvrages (et quelques autres sous pseudonyme).Il a aussi bâti une ville, Guyancourt, dont il fut élu 31 ans, et présidé la Ville Nouvelle de St-Quentin-en-Yvelines où il a créé une Maison de la Poésie. Une anthologie à L’Idée Bleue (choix par Jacques Fournier), lui a été consacrée sous le titre : « Vivre quand même parce que c’est comme ça ». Prix international de poésie Antonio Viccaro 2007, décerné lors du Marché de la Poésie de Paris, en relation avec le Festival International de Trois-Rivières (Québec).Grand Prix 2009 de l’Académie des Sciences morales, des Arts et Lettres de Versailles et d’Ile de France « pour l’ensemble de son œuvre ».
DERNIERES PARUTIONS (2009/2010)
La guerre des taupes (roman)
Confessions d’un whiskymane français (nouvelles) Monde Global éd.
Les grandes inventions de la Préhistoire (poèmes en prose) Corps-Puce éd.
Prières d’un recommençant (Ed. de l’Atlantique)
La pieuvre qui faisait bouger la mer, suivi de : Les escargots sont des héros (2009) Soc et Foc éd.
Poésies de langue française, anthologie chez Seghers.
Les Riverains du Feu , anthologie par Ch. Dauphin; Le Nouvel Athanor éd.
Et si le rouge n’existait pas ? Anthologie, Le temps des cerises éd.
Pour Haïti, anthologie ; Ed. Desnel