Müesser Yeniay
(Turquie)
Ainsi disent-ils
je me jette dans les foules
et je demande « est-ce toi ma mère »
à la cavité d’un arbre
au ciel où se dispersent des oiseaux
mes regards observent les cieux
des ponts traversent ma langue
mes mains
je suis dans un conte
mes cheveux aussi sont de légende
j’enserre et presse ma cage thoracique
mon humanité fond dans mes yeux
je me jette dans les foules
on me dit que je dois avoir une mère
comme une orange une peau
ainsi disent-ils
Entre mon corps et le monde
le désespoir pousse dans ma chevelure
d’ailleurs sa racine est en moi
comme la terre je suis toute plate
au milieu de la terre
que je mette mes souvenirs sous une tente
-et moi-même dans une autre tente –
et mes yeux se perdent
je suis comme sortie d’une graine
et comme sur le point d’y entrer
une caravane transportant des souffrances
passe chaque jour en moi
c’est pourquoi je suis une marque de fer à cheval
sur le visage du jour
entre mon corps et le monde
je dois mettre de la distance
A présent ne me parlez pas des hommes
Je souffre tant que
je réveille les pierres souterraines
ma féminité
ma tirelire que l’on remplit de pierres
un nid à vers, à pics verts
descendant sur son corps, tanière pour les renards,
de nouvelles graines sont parsemées sur mes bras
on recherche l’homme de sa vie, c’est un sérieux problème
ma féminité est mon hors d’oeuvre
et mon aine la maison d’une absence
le monde s’arrête là
bravo à toi qui t’y jette parmi ses déchets
en arrivant raconte-lui la chair se détachant de l’ongle
vécu avec la science de l’arrachement
raconte-lui cette maladie sans pitié
dans vos regards sa chair a froid comme un agneau tondu
moi je ne vous suis pas redevable de l’utérus de votre mère, mon cher,
ma féminité, un continent usurpé
je ne suis pas non plus un champs à semer…
creusez en mon corps cet organe que je n’ai pas
si j’avais pu le faire glisser tel la mue d’un serpent
vers le crime de ne pas être mère
ce que l’on divise n’est pas la patrie mais le corps des femmes
à présent ne me parlez pas des hommes
Traduit par Claire Lajus
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MÜESSER YENİAY
(Turquie)
Née le 5 septembre 1984 à İzmir (Smyrne). Elle a etudié à l’Université d’Ege. Diplômée en langue et littérature anglaise, elle a reçu une mention honorable, le Prix Yunus Emre (2006) et le prix Attila İlhan (2007), le Prix de poésie Ali Rıza Ertan (2009), le Prix Enver Gokçe (2013).
Son premier livre de poésie, L’obscurité Tombe à Son Fond est paru en 2009; son deuxième, des traductions de la poésie du monde (un choix), J’ai Construis Ma Maison sur les Montagnes est sorti en 2010. Un autre livre de poésie, J’ai redessiné le ciel a été publié en 2011. Elle a traduit les poèmes du poète persan Behruz Kia: Requiem Pour les Tulipes. Elle a publié le livre Contemporain Espagnol Anthology avec Metin Cengiz et Jaime B. Rosa. Elle a publié un livre sur la poésie d’avant-garde turque moderne : l’autre conscience: Surréalisme et la deuxième nouvelle (2013). Et son dernier livre de poésie Avant Moi il y avait le désert a été publié en 2014.
Ses poèmes ont été traduits en français, en anglais, en arabe, en hébreu, en Italien, en espagnol, en serbe etc. Elle a participé à des festivals de poésie internationales en Bosnie-Herzégovine, en Israël, Serbie, Roumanie, en Inde, aux Etats-Unis et en France.
Elle est éditrice de la Revue de Şiirden (Poésie). Elle continue ses études supérieures dans le domaine de la littérature turque à l’université de Bilkent. Elle est membre du PEN et de l’Union des Ecrivains de Turquie.
http://revueayna.com/portfolio/muesser-yeniay/