Magda Igyarto
(France)
Un soir banal
Un soir banal dans une rue banale Une lumière jaunâtre un trottoir maculé de crottes de chien de détritus Un recoin de pénombre à l’abri du vent Un sac galeux sur un mur lépreux Des bouteilles de plastic des cannettes de bière du papier gras froissé dégoulinant d’une sauce brunâtre Une odeur écoeurante de pisse de saleté Malaise
Un anorak déchiré bleu délavé aux poignets râpés Une couverture élimée cache une forme indéfinissable un tas de chiffons recroquevillé dans une immobilité catatonique sur le froid de la misère Malaise
Des pieds calleux de femme émergent d’un jean usé trop court bleuissent sordides dans des escarpins éculés aux talons cassés Malaise
La ville bruisse à deux pas de lumière Spectacle ordinaire dans une rue ordinaire avec des badauds ordinaires aveuglés par leurs soucis ordinaires Malaise
Regarde papa tu vois là Allons viens on va rater le début du film une droguée une alcoolique t’en fais pas Le jugement libère la bonne conscience de l’indifférence Malaise
Mais toi pauvre clocharde n’es-tu pas le miroir de ce que je pourrais être
Elle attend
Elle attend le front brûlant à la fenêtre le froid glacé apaise la fièvre Hurler comme la bête qui sent venir la mort Pleurer comme l’enfant apeuré que seul l’amour peut apaiser Insondable fragilité lorsque les heures comptent double chaque jour jeté sur elle l’ensevelit le ciel noyé dans ses larmes Dans la prison de la souffrance elle choisit la lutte celle de David contre Goliath celle du pot de terre contre le pot de fer Son arme son écriture brûlante qui dénoncera qui accusera qui réveillera les consciences Les mots accumulés en lignes droites serrées les unes contre les autres seront leurs barbelés les barreaux de leur prison
Au bord de son temps compté au-dessus du vide de sa jeunesse sa mort la privera du sourire d’avoir gagné son combat
Vertige
Une lune morne réfléchit sa rondeur sur les vitres brisées du canal Les entrelacs de ses songes de gypse glissent sur une forme torchonnée de souffrance Une femme au visage émacié bute le nez contre le mur invisible du néant sordide Elle mendie son ventre brûlant crie famine Ses mains sont vides La pluie fine pénètre ses os fragiles
Vestige d’un cœur en berne Ellipse d’une agonie lente L’eau glauque sera son linceul
Migrante
Elle marche elle marche le regard rivé au sol petit poisson pris au piège d’une nacelle solide qui racle le fond de la misère de la guerre du profit pris au piège des filets de la fatigue du désespoir profond comme les nuits froides des déserts traversés des montagnes à gravir avec les loups aux aguets pris au piège d’une angoisse lame de fond du jour qui se lève à la nuit qui s’achève Elle vit encore elle survit Elle a survécu des mois des semaines des jours et des jours elle a perdu tout repère
Elle ne compte plus les kilomètres de souffrance d’endurance d’intolérance les kilomètres de vexations d’humiliations de corruption les kilomètres d’injures de tortures de bavures les kilomètres de soif de faim de maladie d’espoir
Le corps sac d’os épuisé pénétré dévasté vit encore le cœur bat encore les pieds avancent encore la tête la tête surtout rêve encore Un corps debout arc tendu par habitude vibrant au chant des sirènes d’une vie autre
Difficile d’imaginer le silence le rire des enfants les trilles des oiseaux après le vacarme incessant des bombes les cris les pleurs les drames Elle sera comment cette vie-là
Magda Igyarto
Textes extraits du recueil « Des graines germeront sur leurs pas » à paraître aux éd. Le petit Véhicule en février 2017.
MI et Eva-Maria Berg – FM, émission, Agora, Côte d’Azur, 8. 04. 2016
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Magda IGYARTO, artiste peintre auteure
Je suis née en Belgique d’un père hongrois et d’une mère polonaise qui m’ont inculqué la joie d’aller jusqu’au bout de ses rêves. Après des humanités gréco-latines réussies, je me suis inscrite à l’Académie de Bruxelles en section peinture, mais à la demande de mes parents, j’ai interrompu ces études pour l’université. Une fois mon diplôme d’agrégée en philosophie et lettres obtenu, j’ai enseigné durant trente ans en mariant ces deux orientations essentielles dans mon parcours de vie: l’écriture et la peinture.
J’ai essentiellement exposé ma peinture, à partir de 1974, en Belgique, en France et ailleurs, en galeries, mais aussi lors de la participation à des symposiums internationaux d’artistes.
L’écriture est restée longtemps mon jardin secret. Ce n’est que tardivement que m’est venue l’idée de publier mes écrits. « Métamorphose. L’eau, l’alpha et l’omega » est publié en 2010 et depuis lors, je continue en conjuguant poésie et peinture lors de vernissages, de concert-lectures, d’interventions en milieu scolaire et en médiathèque.
Pour que la poésie soit davantage entendue, depuis octobre 2014, j’ai accepté de réaliser et d’animer une émission de poésie « Les Mots d’Azur » sur Agora Côte d’Azur. FM le deuxième vendredi du mois de 18h10 à 19h, ce qui m’a permis d’inviter et de rencontrer, entre autres, Christophe Forgeot, Colette Gibelin, Brigitte Broc, Marcel Migozzi, Katy Remy, Raphaël Monticelli , Alain Freixe, Claudie Lenzi, Albertine Benedetto, Eva-Maria Berg, Béatrice Machet, etc.
Certains recueils sont nettement engagés: Métamorphose, Eau Mère, sur le thème de l’eau, Cris de femmes, Des graines germeront sur leurs pas, sur les discriminations et les violences que les femmes subissent encore à l’heure actuelle partout dans le monde. Les autres écrits sont ceux d’une femme qui pose un regard sur sa vie, sur la vie, et tout ce qu’elle peut apporter de merveilleux, de terrible et d’inattendu.
Ouvrages
Métamorphose. L’Eau, l’alpha et l’Omega, poèmes, éd. Baudelaire, 2010
Abrasement et Transparence, poèmes, éd. Baudelaire, 2011
Regards croisés sur la Violence de la Dépendance, récit autobiographique coécrit avec Elise Boucher, éd. Edilivre, 2012
Emergence, poèmes, éd. Edilivre, 2012
Eclats d’Ame, poèmes, éd. Encres Vives, 2012
Pétales de Vent, poèmes, éd. Encres vives, 2013
Contes de l’Eau vive, autoédités par l’Ecole du Bicentenaire de Le Val, 2013
Histoires pour réchauffer le cœur, contes, éd. Edilivre, 2013
Sens à Vif, poèmes, éd. La Bartavelle, 2013
Eau Mère, poème en prose illustré (peintures de l’auteure), éd. Laumiel, 2014
Cris de Femmes, poèmes, pastels et fusains de l’auteure, éd. Laumiel, 2014
Loin des Vieilles Lunes, poèmes, éd. Encres Vives, 2015
Secrètes Dissonances, poèmes, aquarelles de l’auteure, éd. Laumiel, 2015
Clichés en noir et blanc, poèmes , photographies, éd. Le petit Véhicule, 2016
Des graines germeront sur leurs pas, poèmes, photographies de Sonia Ciafardini « Esse », éd. Le petit Véhicule, à paraître en février 2017
Site web : www.magda-igyarto.com