Emmanuel Hiriart
Avec l’ange
1
L’ange mûrit doucement
Au revers de la nuit
Un ange parfois suffit
A réveiller le printemps
L’ange déjà s’éloigne
Il reste un bruit de pas
Un portable trompette
Dans la rue voisine
2
Pardonne ma boiterie,
Mon ange,
Ce monde nous va mal,
Nous n’en n’aurons pas d’autre.
Pardonne mon silence
Tissé de mots trop pauvres,
Pardonne mon impatience
Mais j’appartiens au temps ;
Lui seul te donne corps.
3
De l’ange
Bien peu nous sépare,
Éternellement :
Un battement du cœur,
Le souffle de la brise
Au matin
Sur les braises du jardin
Prêtes à refleurir
Pour consumer le temps.
4
Lorsqu’il parle,
L’ange donne
Exactement aux mots
La forme de sa voix,
Endort sa grammaire
Et l’écoute rêver.
Chez l’ange la musique
Est concrète,
Surprise à fleur de vie.
5
Mon ange tu sais
La langue des anges
Si subtile que les mots
A peine l’effleurent
Et souvent l’égarent,
La langue paysagée des anges.
Parfois la mort te parle
Doucement tu l’écoutes c’est
Presque un chant puis
Tu souris et reviens
Prêter ton visage au verbe.
6
Comment nommer
L’ange : Gabriel
Michel Raphaël
Méphistophélès ? Toujours
Il s’efface et renaît
Dans l’incertain du sens
Vivant infiniment comme
La mauvaise herbe au soleil.
L’ange disparaît, puis
La lumière et nous
Restons seuls face au rêve trop grand.
Sylvie Simonelli
7
Je ne saurais mon ange
T’appeler ange sans sourire
Ni me moquer un peu
Le sérieux chasserait l’ange
En toi qui déploie ses ailes
Pour profiter du soleil
Lorsque tu te crois seule.
Tu ris trop lucide
Et trop pure pour crois
Au anges mon ange
Et surtout à ta nature,
A ton sexe angélique.
8
L’ange incandescente
Surprise
Au bain, riant de ses compagnes
Comme
Pour un tableau mythologique
Consume
L’œil ouvert du rêveur ;
L’ange, ou la déesse,
Entrevue près de l’arbre
A la source des contes
9
(Parfois, au milieu d’un poème, je m’interromps le temps d’interroger la nuit. Mon amie, crois tu que je croie aux anges ? Aux anges célestes ? Aux grands oiseaux des rêves ? A celle, très humaine sans doute, que j’appelle en souriant mon ange ? Pourquoi mêler ma voix au choeur confit des dévots et des saints ? Je me souviens d’anges très doux en marge de l’ombre, d’un ange grave aux ailes d’arc-en-ciel, j’écris mon ange à demi rêvée… Parfois la nuit me répond : l’ange est trop belle pour mes étoiles, trop nécessaire pour qu’on l’abandonne à la rouille des mots ; nous ne saurions sans elle envisager l’inconnue qui seule nous justifie.)
10
A Gilles des Antares
Un ange est tombé ce matin
Fasciné par la mort.
Un ange insolent du ciel bleu,
Saltimbanque aviateur,
Tagueur de l’infini. Tombé
Fauché comme un bouquet de roses
Offert aux dieux obscurs
De nos opéras sans retour.
11
Je t’aime, mon ange
Pour ce que tu n’es pas,
Devant quoi tu t’effaces :
Pour notre inquiétude,
Pour ta joie messagère,
Tes visages tes voix
Pour ce qui nous sépare,
Te déchire et nous blesse
En nos métamorphoses.
12
Depuis près de mille ans l’ange
Sourit, immobile, au soleil,
Sans désir, parole fidèle
Au geste aventureux du sculpteur
Épris d’Espérance, qui lâcha
Sa joie d’être pour l’incertain
Sourire d’une pierre fendue. Je t’aime
Pourtant mon ange, carnassière
Et terrestre. Je t’aime et veux croire
Au signe en toi qui m’arrache au temps.