Guy Chaty
(France)
L’HOMME APPROXIMATIF D’AUJOURD’HUI*
Je suis Accroupi depuis des heures, au milieu des autres.
J’ai marché longtemps, je suis Tombé plusieurs fois, je me suis perdu, puis retrouvé.
Les cloches sonnent pour rassembler les survivants, exténués par leur périple.
Sonnez plus fort, crie le responsable, ils ne vous entendent pas !
Combien de fois nous nous sommes dits : nous nous réjouirons quand nous serons arrivés à bon port. Nous ferons sonner les tocsins de la joie et de la liberté.
Mais ici, on nous fouette d’ordres, nous sursautons chaque fois.
Les sauveurs sont pressés ; vient le rassemblement,
chaque corps se vissant, se comprimant, s’écrasant dans le magma des autres.
Je suis froissé jusqu’à l’âme. Je suis défait.
Les cloches sonnent encore.
Les autochtones nous regardent comme des animaux de zoo.
Toutes les personnes sont regroupées. Elles seront contrôlées.
Un réfugié s’est caché. Il ne veut pas être lavé.
On l’emporte de force. Ils ont traîné déjà un pauvre hère, l’ont léché,
Alléché, lié par le ventre, tari sa soif,
Creusé son désespoir, délié ses promesses à lui-même
de ne pas accepter de sources asservies aux quotidiens étouffements.
Ils prennent dans leurs mains, leurs mains desséchées.
Ils leur donnent un sourire de bonté
vissée sur le visage,
leur demandent d’être patients.
Eux ont rampé dans le fond des bateaux.
Eux ont Usé leur espoir, expié les fautes qu’ils n’avaient pas commises.
inédit
* écrit à partir d’un extrait de »L’homme approximatif » de Tristan Tzara en ne conservant que les mots issus de verbe.
SUR LE QUAI
Un Africain
assis en station
de métro
entouré
de manteaux peaux d’oignons et
de tous ses sacs
modestes et bourrés
lit
son chapelet de ses doigts
de ses lèvres
tandis que s’égrènent
devant lui crachés
de leur bouche noire
les trains
indifférents
inédit
MIROIR
Je lui tends la main droite
il me tend la gauche
Je lui donne la main gauche
il me renvoie la droite
Je ne peux m’entendre avec lui
Pourtant il me ressemble tellement
comme un frère, un jumeau même
une réplique, un reflet
Frères ennemis
de tous pays
sans réfléchir
brisez la glace
qui vous sépare
Embrassez-vous
Inédit
MONUMENT AUX MORTS
Ils sont morts sous un tas d’ordures
qui en s’écroulant devint leur sépulture.
Monument collectif de la misère humaine
monument aux morts du scandale
monument dérisoire de l’abomination
monument somptueux de l’exploitation
Qu’on déclare jour de gloire ce jour inoubliable
qu’on vienne en procession à chaque anniversaire
fêter le fric, le luxe, la jouissance des nantis,
la distance accrue entre les êtres,
l’indifférence des hommes pour leurs semblables.
Ils sont morts sous un tas d’ordures
qui en s’écroulant devint leur sépulture.
Monument aux morts pour la panse
des géants de la finance.
Monument aux morts aux champs d’horreur
où sont parqués les crève-la-dalle
les laissés pour le bon compte
des échanges commerciaux.
Ils sont morts sous un tas d’ordures
qui en s’écroulant devint leur sépulture.
Monument jaillissant au-dessus des horizons
pour touristes avides de sensations.
Ne le détruisez pas respirons cette odeur
de charnier spontané sorti de notre terre
Que va tenter le tribunal international
pour rechercher les vrais coupables ?
inédit
La nuit les corps se vengent, extrait du DVD « Guy Chaty fait son cinéma » réalisé par Philippe Masson. Cette vidéo est accessible sur
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NOTICE BIO-BIBLIOGRAPHIQUE
Guy Chaty, né en 1934, a été successivement instituteur, professeur de lycée, professeur des universités. Parallèlement à son activité scientifique et pédagogique, il a écrit et publié depuis 1977, poèmes, nouvelles, théâtre, essais, chroniques, notes de lecture, chansons dans dix-huit recueils (en particulier chez Alain Benoit, Clapas, D’ici et d’ailleurs, Éditions de l’Atlantique, Editinter, Éditions Henry, Interventions à Haute Voix, Les Amis de la Poésie), une cinquantaine de revues, anthologies, colloques et sites.
Ses textes, en proses ou poèmes, souvent humoristiques, peignent notre monde avec ses ridicules, injustices, aberrations et horreurs mais restituent aussi les douleurs et les joies de la condition humaine. Guy Chaty est un dégustateur de mots qui veut faire partager son plaisir aux lecteurs.
Guy Chaty a mis en scène et joué des montages de textes, poèmes et chansons, de lui-même et d’autres auteurs dans de nombreux spectacles ou lectures publiques. Il a initié des débutants au « dire » des textes courts. Il a organisé et animé des manifestations sur la poésie.
Il est membre de la Direction de Rédaction Collective de la revue Poésie première, des comités de lecture des revues Poésie sur Seine et Interventions à haute voix, et de plusieurs sociétés artistiques.
site : http://guychaty.free.fr