Elena Stefoi
(Roumanie)
L’art poétique de transition
À l’amour paternel
de ceux aux coutumes de statue
embêtés par eux-mêmes au point
de rechercher sur toutes les chaînes
les preuves des cataclysmes cruautés
désastres déséquilibres maladies incurables
pour se prouver qu’ils n’ont jamais eu tort
qu’il ne leur reste plus rien à apprendre
que l’absurde à lui seul il est libre
et que le monde entier se prépare à mourir avec eux
je préfère l’indulgence ironique l’indifférence le mépris
de plusieurs nouvelles générations aux inquiétudes normales
pour le trajet tortueux pour la mince couche fleurie
sur laquelle sans savoir la suite
mon imagination de cobaye historique et sincère
avait trouvé son abri.
Jamais de ma faute
Chaque jour je regarde avec soin à gauche,
à droite, peut-être y a-t-il encore une place vacante
dans la fanfare. Les grands thèmes
ne se sont jamais enivrés de ma faute.
Par où vient l’éternité quand elle descend de la machinerie
pieuse et étoilée ? Ombres bruyantes font irruption
entre le danger et ton corps resté depuis une année derrière.
Bourrée de dignité la mémoire se laisse cracher au visage.
Comme si elle ne voyait pas ne savait pas n’entendait pas
comment on gagne un peu de sagesse.
Le chaos, lui-même
Les rets passent en travers de la dernière saison.
Cette fauve a parlé, il faut la tuer ou très vite
s’envoler. Le chaos cherche mes bras.
L’aube et le couchant dépiécés
sur mon écritoire. Tout autour
des mots engrossés bercent la cachette
et celle-ci garde ses esprits.
Cette fauve a parlé, il faut la tuer
ou par elle, sans erreur, s’envoler.
Aucune vision remarquable
Ici, où tu es arrivé, la mélancolie est moins orgueilleuse.
L’avenir dort, sois fier d’ignorer
le désir de suivre ton échec dans la rue
en maîtrisant à merveille sa laisse joliment colorée.
L’appât pour lequel tu as voulu des proportions d’or
n’a plus de pouvoir. Sa peur médiocre
pareille à un fœtus avorté
te frappe avec la mort exactement sur la bouche.
Aucune grosse pierre ne pend à ton cou,
aucune vision remarquable.
Et tu veux qu’ils te croient.
Tu désires dire sans détour
qu’un peu de romantisme est toujours nécessaire
et les vainqueurs, au complet, sont censés de te c
Seulement d’un certain côté
Parfois tu aimerais remonter
le réveille-matin de la perfection.
Quand même, d’un certain côté
dans le premier abécédaire feuilleté
l’odeur d’orphelinat persiste.
Ne t’arrête pas.
Il est préférable de ne pas te gaspiller
en chuchotements
en calcules, ainsi qu’en cafards
ceux de ton logement.
Pour peu –
juste peu.
Laisse croire aux autres qu’une confusion
arrosée chaque jour à la racine
rencontrera sur le tard
le printemps.
Un seul nœud à la gorge et ça suffit :
la proportion d’or s’apitoie souvent sur son sort.
Poème d’amour et de conséquences
Encore une fois le désespoir bigarré de l’année dernière
rit aux éclats : n’es-tu pas celui qui savait bien
comment les ténèbres peuvent t’étrangler justement à midi
quand la nourriture abonde sur la table et les amis sont
joyeux outre mesure ? Quelques contes approuvés
se chargeaient d’équilibre
en distribuant aux quatre vents des parures.
Toujours tu as revêtu à merveille
les idées principales.
Le corps et ses résultantes devraient apprendre
que la dignité
recourt à plus de nuances
qu’un livre de chevet.
Seulement en fin de semaine
des pierres et des phrases tombent encore du miroir.
Nous allons mesurer la proportion d’or
Voilà un autre bonheur pour les merveilleux maxillaires
de ce paradis avachi : sur ton palais
l’impuissance s’ébat sans bruit.
Belle comme un abîme à la portée du fusil.
pas de grincements, pas de vêtements pathétiques. Bien sûr,
jamais enfiévrée. C’est dimanche, et puis ?
Nous allons fournir des preuves, nous allons mesurer
la proportion d’or d’un échec ordinaire.
Poème d’amour écrit beaucoup trop tard
Est-ce que je ne t’avais déjà averti que la résignation était garnie de recoins ?
La ligne de flottaison, dans ses habits du dimanche,
halète à travers les droits et les obligations. Les révélations réunies
s’obstinent à lui trépigner la haleine.
De temps en temps la saison dernière lui fait cadeau
d’un seau d’immondices et alors nos autobiographies
perdent leur temps dans les rues sans liant.
Chacune en rongeant solitaire sa corde de pendaison.
Et quand même les yeux dans les yeux
nous nous émerveillons des abondantes nourritures de la terre.
Heureux de ne pas avoir eu de ne pas avoir
des certitudes boutonneuses.
Ne doute pas, tôt ou tard je laisserai sur tes bras
les vestiges d’une guerre d’âme.
Plus vrais qu’un four surchauffé.
Entre deux phrases
Pour cet anniversaire j’achète un point de vue.
Et toi, étends pour moi, au bord du lit la saison
transformée en corde effrontée. Le sang
qui coule entre deux phrases grandissant en absurdité.
Poème d’amour
À perpétuité je dirai des choses sans importance
de mon plein gré je piétine les miettes de l’été.
Soir après soir la folie se niche sur mes lèvres.
(Elle est impatiente d’être choyée et pourtant personne
ne remarque sa présence.) Je m’empresse de te voir, je fantasme
sur le hasard de bonne foi et à esprit aiguisé. Je sais trop bien :
je n’ai pas le sens de la mesure et j’ai honte de la mort
parce qu’elle ne veut pas causer avec moi.
Désespérés, nous nous attardons par hasard
à la table au menu copieux où le passé commence à pourrir.
Sous les yeux rivé de la foule, j’ai décrit jusqu’aux moindres détails
ses entrailles. Tiens, il n’en reste même pas la trace d’un grain d’or.
Dimanche de mai en trois parties
Voilà comment la mort me quittera cet après-midi :
une guerre plus belle que la poésie
effacera mon nom de la liste des héros.
Le soleil pourra se coucher. Du côté céleste de mon lit
soudainement l’erreur aura mille bourgeons.
Devant la culpabilité, le poème
Trois jours ta langue s’attarde sur le champ de bataille
les apparences, ployées sous leurs plaies,
lui rendent quand même les honneurs
ici, il fait beau, on voit tout autour
la discipline et le respect pour le sens interdit
la contemplation des choses sensibles et la nécessité
de ne pas demander au mauvais moment
si la solitude peut entrer dans l’histoire.
Ne le dis à personne
Tu dois rire avant d’être heureux –
même si tu as peur et ton destin
est parti pieds nus, embaumés,
laissant derrière soi des traces de fers.
Ces traces enchaînées vont aguicher
la douleur de l’espace – dans les vieux livres
on la nomme avenir. Ne dit à personne
qu’au temps des bagatelles tu entends sur le toit
la trompette qui affole la clarté.
Tout cela est moins lourd
Peu de choses apprises par la contrainte. Fin
de semaine et monologue à senteur alpine
au bout du compte pourquoi connaître par cœur
ton gouffre assis sur la table,
comme dans les maisons de ceux qui sont seuls le miroir
pourquoi le connaître par cœur
si de toute façon tu ne peux pas en faire une abstraction ?
De mon plein gré je ne serai plus le coucher du soleil.
Sagesse à gorge serrée. Le point que le passé coupe en quatre,
les langues de l’humanité qui s’avalent les unes les autres,
la chair de tes descendants qui vantent l’incertitude
tout cela est moins lourd que t’atteler à ce gouffre
et le traverser, au moins une fois,
en le tirant tout sciemment,
d’un bord jusqu’à l’autre.
Le soir, sur la dernière page
Votre index
me fait tourner le visage vers moi-même
chaque sens devient une planète sous le signe de l’apocalypse
je commence à avoir peur je m’envole
vers votre index.
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Poèmes traduits du roumain
par Cristina Montescu
Ces poèmes ont été sélectionnés par Elena Stefoi qui a également revu leur traduction en français.
Ils font partie de cinq livres de poèmes publiés en Roumanie pendant la période 1983-2005 et republiés en anthologie (Derrière les vainqueurs, Bucarest, Paralela 45, 2005, 272 pages).
L’auteur a gardé les droits de reproduction et de traduction de ces textes.
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BIO
Elena Stefoi est née le 19 juillet 1954 en Roumanie.
Après des études à la Faculté d’Histoire et Philosophie, fini en 1980 avec un diplôme de licence, elle enseigne l’histoire dans un petit village jusqu’au 1987. Par la suite, elle travaille comme correctrice pour la revue Contemporanul, de Bucarest.
Depuis 1989, Elena Stefoi dirige le magazine littéraire Contrapunct (1990-1993) fondé par l’Union des Ecrivains, ainsi que l’hebdomadaire culturel et politique Dilema (1993-1997) et le mensuel l’Invitation de l’Institut Français à Bucarest, en travaillant aussi comme correspondante permanente de la Radio France Internationale en Roumanie et correspondante pour « East European Constitutional Review » (Chicago Law School).
Elena Stefoi joint le Ministère des Affaires Etrangères en 1998 et en 2006 elle obtient le rang diplomatique de ministre plénipotentiaire. Docteur en Philosophie à l’Université de Bucarest (2005).
Avant qu’elle soit accréditée Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire de la Roumanie au Canada (2005-2012), Dr. Stefoi a été conseillère du Ministre, chef du Cabinet, directrice de la Direction de Planification Politique au Ministère des Affaires Etrangères et Consul Général de Roumanie à Montréal.
Membre de l’Union des Ecrivains depuis 1990, Elena Stefoi a publié plusieurs recueils de poèmes et livres-interview, ainsi que de nombreux essais et analyses politiques. Elle a reçu le Prix de l’Union des Ecrivains Roumains (1983) pour le meilleur livre de début et le Prix de l’Association des Journalistes de Langue Hongroise de la Roumanie (1997). Membre du Senat de L’Académie Diplomatique à Bucarest (2003-2005).
Récipiendaire de l’Ordre de Mérite pour Honnête Service en rang d’officier, accordé par le Président de la Roumanie en 2000 et de la Médaille Le Mérite Diplomatique en 2007.
En tant qu’Ambassadeur, Elena Stefoi a été élue président de l’Association Diplomatique d’Ottawa (ODA) en mai 2006 et réélue en 2007.
Elle parle français et anglais.