Claude Luezior
(Suisse)
Avant-dire
Clames, parce que le slam s’est vite dilué dans le tam-tam du politiquement incorrect. On y a vu du génie. Riche révolte sans doute ! J’aime les rebelles. Pas la facilité.
Défricher d’autres banlieues. Dans nos têtes mazoutées, d’autres voyages. N’en déplaise aux chantres de la contre-culture, au prêt-à-scander, aux soldeurs de rimes.
Clames, car la poésie est avant tout orale. Oralité au bord du feu, héritage des bardes et chamans, chant du verbe, prière partagée.
Gutenberg est passé par là. Fort de son encre qui fleurit bon la connaissance. En belle synergie, peindre les mots ? Certes, mais toujours, il nous faut les chuchoter.
Ou les clamer, dans leur nudité naturelle, leurs assonances, leur boléro. Sur les partitions de la voix : tout au fond du larynx, là où le cœur du poète égraine ses rythmes. Clamer parce que la langue est avant tout sentinelle de la parole.
HEURTOIR
Je heurte Parce que je suis heurtoir à cette porte presque morte où résonnent les gonds de vaines purifications
Je heurte Parce que je suis heurtoir sur la fracture sur les blessures où vibrent mes suppliques et mes prières faméliques
Je heurte Parce que je suis heurtoir et m’agenouille sombre fripouille à l’échancrure des souvenances aux éboulis des insolences
Je heurte Parce que je suis heurtoir est-elle encore si farouche ou orpheline, ma manouche ou dans les bras, belle grivoise d’un prince qui l’apprivoise
Je heurte Parce que je suis heurtoir ma pogne se boursoufle sur ce cœur que je maroufle de mes cris sans blasphème de mes râles qui s’enchaînent
Je heurte Parce que je suis heurtoir à cet airain d’outre-tombe au chaos d’une catacombe où mes rêves hallucinent après la marche des guillotines
Je heurte Parce que je suis heurtoir pour qu’elle m’ouvre sa croupe pour qu’elle découvre ma coupe
Je heurte Parce que je suis heurtoir et je heurte heurte sans tympan et je heurte jusqu’au sang
© Ed. tituli, Paris, 2017 Claude Luezior, |
BATTENTE
Io batto Perchè sono un battente a questa porta quasi morta dove risuonano i cardini di vane purificazioni
Io batto Perché sono un battente sulle fratture sulle ferite dove vibrano le mie suppliche e le mie preghiere fameliche
Io batto Perché sono un battente e m’inginocchio mascalzone oscuro ai ritagli delle ricordanze ai grani dell’insolenze
Io batto Perché sono un battente lei è ancora così feroce o orfana, la mia zingara o nelle braccia di una impertinente d’un principe che l’addomestica
Io batto Perché sono un battente il mio pugno si scalda su quell cuore che sto schiaffeggiando delle mie grida senza bestemmie dei miei binari che si susseguono
Io batto Perché sono un battente al bronzo d’un oltretomba nel caos d’una catacomba dove i miei sogni allucinanti seguono il cammino dei ghigliottinati
Io batto Perché sono un battente affinché lei mi apra la sua groppa perchè lei scopra la mia coppa
Io batto Perché sono un battente e batto batto senza timpano e batto fino al sangue
traduction: ©Francesco Casuscelli |
sans-papier
sans doute
sans foi ni loi
sans appel
voici que j’obéis
je plie
je m’asphyxie
sans honte
sans peur
sans reproche
voici qu’elle me harcèle
m’ensorcelle
m’écartèle
sans-logis
sans-papier
sans-abri
voici qu’on m’amende
me commande
me réprimande
sans-soucis
sans-gêne
sans-le-sou
voici que tu me disputes
me scrutes
me culbutes
sans royaume
sans atout
sans soutien
voici qu’ils m’écrouent
me désavouent
me bafouent
sans dieu ni diable
et sans épitaphe
moi, le sans-culotte
voilà que je prie !
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Claude Luezior, écrivain suisse francophone, naît à Berne en 1953. Il y passe son enfance puis étudie à Fribourg, Philadelphie, Genève, Lausanne, Rochester (Minnesota) et Boston. Médecin, spécialiste en neurologie (son nom civil est Claude-André Dessibourg), il devient chef de clinique au CHU de Lausanne puis professeur titulaire à l’Université de Fribourg. Parallèlement à ses activités scientifiques, il ne cesse d’écrire et commence à publier depuis 1995. Sortent dès lors une cinquantaine d’ouvrages littéraires, pour la plupart à Paris : romans, nouvelles, recueils de poésie, haïkus, livres d’art. Tout comme en médecine, il encourage la collaboration multidisciplinaire, donne des conférences, participe à des anthologies, écrit des articles dans des revues littéraires ainsi que des préfaces. Certains de ses livres sont traduits en langues étrangères et en braille. Il reçoit de nombreuses distinctions dont le Prix européen ADELF-Ville de Paris au Sénat en 1995, un Prix de poésie de l’Académie française en 2001 ainsi que le prix Marie Noël, des mains de l’acteur Michel Galabru, en 2013. Par ailleurs, il est nommé Chevalier des Arts et des Lettres par le Ministère français de la Culture en 2002.
Parmi ses livres, on peut mentionner les romans Monastères et Terre d’exils chez Buchet/Chastel, les proses Urbs et Fruits de nos désirs chez L’Harmattan, les recueils de poèmes futive, fragile et fluide à la Bartavelle, la biographie romancée Armand Niquille au coeur des cicatrices aux éditions de L’Hèbe ainsi qu’en 2016, le livre d’art Mystères de cathédrale avec des photographies de Jacques Thévoz, aux éditions BCU à Fribourg.
Son site est : http://www.claudeluezior.weebly.com/
CLAMES , de Claude Luezior, éditions tituli, Paris
Note de lecture de Jeanne CHAMPEL GRENIER : Des spécialistes, ingénieurs du son des profondeurs, avaient bien lancé l’alerte : « les sismographes sont en vibration, des fumeroles s’échappent en un point précis de cette contrée habituellement calme où vit le poète, la Suisse. » Il y avait eu déjà sur les ondes ce fameux »Je heurte parce que je suis heurtoir ». Beaucoup s’en étaient émus mais peu avaient prévu ce qui allait suivre. Et voilà, l’implosion-explosion, en direct, dans toute son ampleur : CLAMES que je lirais C.L. ÀMES ; les mille âmes de Claude Luezior. Il ne s’agit pas de slam ; même si cette forme orale a pu çà et là laisser quelques belles émotions, beaucoup ne sont que faciles coups de gueule – défouloirs. Il s’agit là d’un réel épisode volcanique littéraire. Les paroles issues du tréfond du magma poétique éclatent en plein ciel et se répandent, brûlantes, sidérantes. Et quels échos ! On en est ébranlé, fasciné, médusé : Coupe / les flaques / de mes chairs /insomniaques / Coupe-feu / de mes incendies / traque / mes braises volcaniques / … coupe-faim de mes lexiques / où se détraquent / les alambics… où craquent. / mes suppliques. Coupe : en moi le diabolique / coupe mon Armagnac / d’hérétique… (Coupe : page 9)
Plusieurs épisodes telluriques se suivent alternés d’acalmies (d’aclamies ?) où se déposent les cendres fertilisantes, puis viennent les silences.Tout se passe comme si le poète Claude Luezior avait été longtemps baillonné et qu’il ait enfin arraché ce baillon de politesse bienséante face à l’urgence ; urgence non pas de penser mais de DIRE ; PENSER pour DIRE et DIRE pour PANSER. Car, l’acalmie provisoire venue, c’est là que l’on découvre le nouvel horizon ; le nouvel état des lieux qui ne seront jamais plus les mêmes. L’espace est à réinventer, la terre intérieure à reconstruire ; il est temps, comme pour Saint Exupéry de s’en remettre à la science poétique des étoiles : une voie lactée par-ci / un astéroïde par- là / töt dans la nuit / l’astro-mécanicien / broie / ses trous noirs / mains nues / dans des cratères de lune (astrologue : page 33).
CLAMES, comme ce mot l’indique, c’est toute la richesse du magma intérieur de Claude Luezior qui par des failles stromboliennes jaillit devant nos yeux, répandant à nos pieds scories de désirs, cendres de douleurs et pépites d’espoir. Buvons à la coupe de libation finale que nous offre le poète Claude Luezior, de sa chaude et belle voix rocailleuse : buvez / à l’aune de vos élans / à la mesure / de votre désir / à gorge déployée / buvez jusqu’à plus soif / et surtout / buvez-moi ! (soif : page 71)
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Clames (poèmes à dire) de Claude Luezior, Librairie/Editions tituli
Ce nouveau livre de Claude Luezior est une manière de retour aux sources de la littérature et de la poésie car l’écrivain fribourgeois nous rappelle dans son Avant-dire ( et non pas Avant-lire !) que la poésie est avant tout orale. Oralité au bord du feu, héritage des bardes et chamans. Ainsi, a-t-il intitulé fort judicieusement Clames ce livre qui se lit à voix haute et dont les mots sont destinés à être mis en espace, petits lutins syntaxiques s’affranchissant du douillet couffin blanc de leurs feuillets. C’est aussi une manière originale d’aller à la rencontre d’un auteur atypique dont l’imaginaire poétique magistral nous invite à une farandole d’images et de paysages somptueux. Ici, les mots virevoltent et savourent cette liberté aérienne, faite de sonorités et de vibrations de partage. … les clamer, dans leur nudité naturelle, leurs assonances, leur boléro. On se délecte à les entendre croustiller, pâte craquante dans notre bouche pour leur offrir le précieux réceptacle de conques d’oreilles en quête de luminosité acoustique et d’une écoute habitée.
Comme pour ses précédents ouvrages, l’orpailleur du verbe nous entraîne dans une gourmandise syntaxique en jouant sur les touches du clavier. Il en ressort une musicalité harmonieuse et ludique car l’écriture est aussi un jeu… d’orfèvre : Quand le oui/ n’est plus non/ et que le oui a un nom… Baladin et saltimbanque de l’oralité retrouvée, le poète titille sa muse qui s’amuse et s’acoquine de son coquin de troubadour maniant l’humour, tel un jeu tout en finesse et sensualité : N’en déplaise/ à tes aréoles/qui m’affolent… Ritournelle chaleureuse de vers qui pourraient très bien prendre la forme de chansons ? Écriture parfois à la Maurice Carême avec une poésie qui peut se dire dans tous les sens. Je vous l’avais confié, Luezior slame et surtout clame bien haut : la poésie est de retour et ne mâche… pas ses mots ! Derrière sa moustache épicurienne et sa pipe de sage bienheureux, Luezior fulmine devant les tabloïdes de la barbarie qui parsèment son jardin de ronces et de chardons en chevaux de frise : Et poignardent/ et décapitent/ l’autre/ le frère/ même/ le leur/ le vôtre.
Les mots dits ont souvent la force du brûlot lorsqu’ils n’hésitent pas à sortir du nid calfeutré de leurs pages blanches pour étreindre nos âmes et parler à nos cœurs. Clamer son innocence coupable de mots si élégamment dits… Le poète avoue mais ne se dédit pas. Voilà qui est bien dit