Carole Zalberg
(France)
Veillée d’âmes
(extraits)
Au lendemain du 11 septembre, j’ai mené avec le collagiste Frédéric Vignale un travail autour de la guerre. Il m’envoyait un collage par courriel et j’écrivais un texte aussitôt. L’ensemble était mis en ligne chaque jour. Durant un an, nous avons ainsi dialogué d’images à mots. Les textes présentés ici sont extraits de ce work in progress encore visible dans la galerie de mon site http://galerie.carolezalberg.com/guerre/ (CZ)
Vues
tout dépend du regard
s’il baigne de lumière
s’il les enduit de noir
les mêmes mots
Découverte
d’un geste dérouler l’étoffe qui étouffe
faire jaillir le visage
le corps
le souffle
comme la lumière fut
sur la terre
au début
que le monde à nouveau
s’imprime sur sa peau
qu’elle ressuscite du tombeau
Consolation
les soirs d’hiver
à la veillée
on priait pour tous les guerriers
tombés au champ des vieux clichés
Ground zero
dégager, dégager, dégager
la poussière et le sang mêlés
porter le deuil sous les ongles
à force de creuser
s’accommoder du cœur qui jongle
entre la peine et la nausée
dégager, dégager, dégager
et ne rien avoir à sauver
Hors nos lois
mon nom est Personne
un de plus, un de trop
dont le ventre résonne
contre un monde marteau
à trop ruer vers l’or
Abîmé
dans une éprouvante spirale
danse l’épouvante brutale
et l’on ne peut plus voir ailleurs
c’est aussi loin qu’à l’intérieur
Matrice
voici la nouvelle Joconde :
l’information, sur toutes les ondes
où que l’on soit nous dévisage
du coin de son regard d’images
Répression
dans une ville rectiligne
une anomalie bien trop ronde
menaçait l’ordre
faisait l’indigne
que l’on écrase à la seconde cette insoumise qui rechigne !
hors du carré, où va le monde ?
War games
et soudain les deux mondes se décomposèrent
en éclats d’écrans sombres où se mêlait la chair
le réel imitait un triste imaginaire
posant l’âpre décor du nouveau millénaire
Hors je
il y avait je là-bas
dans un passé perdu
corps glorieux, détendu
déshabillé de joie
il y a ça jeté là
au présent de la rue
corps brisé, défendu
rhabillé malgré moi
Encore fumantes
après les foudres déchaînées
des murs ouvrant sur le vide
et l’avant de l’ici calciné,
des ombres longeant les ruines arides
Révision
j’ai fait un rêve :
l’autre monde
impie, immonde
brûlait sans place pour la trêve
seules ses cendres seraient dignes d’accueillir nos pas
j’ai fait un rêve et j’irai jusque là
Qui l’eût cru ?
l’aube est de plus en plus pesante
on s’éveille toujours un peu moins libre
et c’est trop tard :
la vie est étouffante
Buffet froid
allongés, alanguis
ici et là quelques nantis
se gavent de la moisson des fusils
La résistance
envers et contre tout
des belles écloses,
des visages en pétales de roses,
des bouquets poussés sur les paysages d’ombre et les vies de misère
mais on sait bien que les fleurs se plaisent dans les cimetières
Dessus dessous
qui perd gagne
au grand jeu du monde
où les têtes tour à tour
s’affichent et tombent
Cordon rouge
sa vie a emporté la mienne
dans l’éclatement brûlant de sa voix
de ses veines
sa vie, sa mort
mon deuil, mon enfant
Un soldat
plus rien
plus rien que la trace d’un piège
qui fut violent, qui fut tout et rien
et la fin
pour ce qui avait été beau longtemps