Bernard Molinié
(France)
Gozo
Face au port
sous l’hibiscus
la chatte noire
attend
que s’ouvre
la chambre
dépliée
*
Pointe de Dwejra
«fenêtre sur l’azur »
brumes
falaises
mer
champs cernés
blancs éclatés
murets enclos
pierres superposées
ce sont des pièges
à oiseaux
signes in-déchiffrés
d’une œuvre de mort
ici transmis aux humains
pointe de Dwejra,
aller pieds nus
si léger
l’air.
de ce lieu sans maisons.
J’étais au volant d’une automobile rouge. La lande de mars, trèfles en fleurs, ocres murailles, soumis à l’écrasement solaire. Le chemin était sec. Nous, des inconnus. S’assombrissait ton visage jusqu’au point muet du dialogue. ( Ne rien attendre du vent quand les pensées vont aux vieux outils rouillés. Il n’y avait plus qu’à sourire, rechercher sur la carte cette ville, et seulement la nommer.)
Silencieuses salines
Mémoires de mer
à jamais soleil
mer d’ hiver
rejetée
tables de rochers
creux
en offrande de sel
*
avant que ne s’ouvre
le village haut
fille noire
auras-tu ramassé
les figues
la source
n’attend rien
oublié ton parfum
celui de la terre
tu la remuais
mais que disais-tu au gardien
en secret dans la barque
*
Grotte de Calypso
un homme âgé
vend des bougies
déjà consumées
ocre rouge
la plage
blancs cailloux
jusqu’au violet
vierge aux pieds bleus
substitut des dieux glaneurs
s’enroulera la mer
autour des lampes
nous ne serons plus là
*
jusqu’au bord
entr’ouvert de la faille
les enfants
rient
souvenir d’une
vitre
jetée sur le parvis
la stupeur
qui berçait les corps
n ‘était pas le bris
mains
peau à peau
sans croiser une âme
vague revenant
s’éloigne
l’image des corps
épicés
comment ne pas chérir
la nuit plus longue
d’avant défaite
*
qui saura
déshabiller
le feu des rochers
coule
le sable en nous
nul ne renverse
le sablier
trop lourd
*
Vous vous êtes glissée au matin. Vous avez dansé sur une musique imperceptible. Des oiseaux et des chiens indiquaient le pays du dehors. Celui du dedans était de fentes, de moiteurs, d’ambre, d’épices douces Pas de souvenirs du toucher. Une inscription à même la peau. Le cours du récit sinueux. La salive saveur d’orange. L’arbre naît du buisson, votre bouche l’étonne. Les corps ne sont plus corps. Vos bras et mes mains noués guettent des battements. Un seul ou deux cœurs dans la blessure ? d’une rive à l’autre s’affiche le temps d’une écharde douce. L’avenir, sa gorge tranchée, jettent du rouge dans ma bouche. Par la fenêtre une clarté. Votre tête pèse là sur les marques du sommeil.
Retour de Roumanie / juin 2002
A venit toamna
Acoperà-mi inima cu ceva
Cu umbra unui copac
Sau mai bine
Cu umbra ta
Nichita Stanescu
« l’automne est arrivé
couvre-moi le cœur
avec quelque chose
avec l’ombre d’un arbre
ou mieux avec ton ombre »
(traduit spontanément par Axenia Hogea près d’une rive du Danube alors que nous attendions l’arrivée d’un bateau)
Entre la plaine cultivée
et les monts
pas d’interruption
là un peuple nouveau
hommes et femmes
habillés de terre
livrés au temps
sous les toits de chaume
ou de tôles galvanisées
fraternité que l’on devine
parasols de couleurs
charrettes
chevaux aveugles
maïs, blé en herbe
chaleur lourde, brumes
plus de haies
la vigne de temps à autre
borne la route
pont à péage
traversée du Danube
virages
(Lucas le chauffeur s’est arrêté
un geste pour nous inviter à voir)
d’un côté les roseaux
de l’autre la forêt de tilleuls
ici s’accouplent les oiseaux
sur l’autre versant d’un monde
(lui demander le prénom de celle que nous devons rencontrer
Il écrit sur la feuille arrachée de son agenda « Axenia »)
Un camion
chargé de casiers
jaunes et rouges
comme un jouet
en contrebas
(Lucas téléphone)
nous écoutons la langue
roumaine claquer
dans un concert d’oiseaux
Danube
bateaux entre roseaux
le fleuve gris
ces formes sans visage
qui le fendent
commerce
pressé des hommes
en surface
leurs lassants regrets
Convoi
Soir à Celic Déré
une charrette traverse
à l’arrière
une masse sombre
deux hommes
à fouet
et le cheval
pattes repliées
refuse l’avancée
sur le flanc
traîné
mort
encordé
l’autre cheval
Braila
le tram de Braila traverse le siècle
d’un village en arrêt
les villes m’ arrivent par le sang
rousse la putain
trouve au cimetière son client
derrière la palissade disloquée
tombes blanches et vaches noires
signifient la vie d’avant
Braila ciel d’acier
troupeaux et vents ont la nausée
Sous les fumées du complexe sidérurgique
Enfouis les feux et les danses
Ne lui avait-il pas dit
Avant de partir
j’ai tellement
envie de vous embrasser
à nouveau il pleuvait
plus aucune étoile dans les flaques
retour
aérodrome
la nuit
les yeux d’une fille
croisée mais
le brouillard efface les corps
sur la scène commune
le plastique partout
les habits et les choses
que garder entre les bras ?
chromos de monastères
cachés dans l’ombre au levant
clochers brillants le soir
prisonniers paysans
sous escorte
et si près du printemps
nous allions
chercher je ne sais quelle trace
de ce qui fut
de ce qui est
dans la lumière rasante
et les brumes d’acier
regard désaccordé
ne reste-il que des images
après l’étreinte
*
les moteurs ont fini par couvrir
le mélange des langues
sous la mer solaire
la nuit coton gris sombre
la terre sur son axe bascule
en milliards de lumières
(Dieu toujours présent
ne peut qu’ignorer
le mystère qu’il déploie)
exister n’est plus alors
qu’un trait sans fil
que les téléphones coupent
emporter vos visages
vos mains en colère
vos chants
amis
saveur contre l’usure
mais vivre est autre chose
faudrait ne plus chercher
les raisons du partir
Une encoche dans le schiste
il y a dans le petit jour
une fenêtre qui s’ouvre
après
la dernière nuit d’amour
Christian Gabrielle Guez Ricord
(le dernier anneau – Fata Morgana 1981- )
Il y avait la route, ton auto désaccordée. Il y avait ce souffle d’en bas à travers les pins Il y avait la bruyère sur schiste, une chaleur de poussière au sol. Il y avait ton regard face au monde pour un envol. Il y avait toutes les montagnes boisées, la route de crête (comme celle où je vais chercher le soleil d’hiver). Il y avait partout présente la solitude ; j’avais froid, je résolvais l’énigme, celle de nos regards cloués, celle de nos peurs croisées ; je pensais aux vendanges (peut-être étaient-elles commencées là-bas). Je pensais à d’autres routes toutes blanches, à des champs de fleurs très bleues. Ta main est venue comme viennent des pas à travers le papier d’un autre, briser l’inerte. Une maison qui serait tienne loin des regards t’attendrait dans la nuit courte.
11/09/2002
trajet des feuilles nuit des hommes
si noir l’emporte le bleu
souffle rêvé nous relève
ouverte chaque porte
dépose une lumière
et si j’oublie les mots
tu me diras ce qu’ils cisèlent
les reflets du miroir
ont creusé le sol
plus de lisières dans la plaine
mais le voyage est au long cours
si traverser commence ici
de l’inconnue je bois l’offrande
la fraicheur la paroi
le feu d’une ombre
oiseaux s’enivrent de soleil
la mer d’ici est une horloge
le temps un débris d’univers
*
paysage
la nuit tombant
fenêtres ouvertes
elle a dans sa main
une clef
un sac de couvertures
c’est aujourd’hui
fête de sable
sa barque attend tout près
mais au jardin pieds nus
son nom se fait attendre
à épier
l’arrière des camions
le bec des rouge-gorges
selon le rite du voyage
tu téléphoneras l’hiver
dis-tu
mais jusqu’où iras-tu ?
s’enfouissent les graines
fond la nacre au désert
et le temps le temps
dans le peuplier
suspendu
c’était le nid
où nous avions dormi
d’où venais-tu
avec ton rire
avec le zeste du citron
avec ce que tes yeux portaient
d’étoiles sauvées
feuilles sonores
pépites de ruisseaux
laisse dormir les villes
disais-tu
le temps c’est du savon
entre les doigts
ce sera la couleur du vide
que je prendrai avec ma mort
buvant le vin qu’elle aime
1/10/07
(nouvelle née)
d’une enveloppe violine
ton visage photographié
presque rieur
toi venue
d’entre mer et ciel
de l’intérieur du temps
nuits de bandas
jours de verts prés
ouvre
cet horizon poudreux
traverse la grisaille
secoue le noir
Tina
lumière
entre deux vies
qui sont les aveugles
qu’il faille justifier
dans l’âpre quotidien
le mouvement des berceaux ?
alors
silence à la bêtise
que coule le récit
tu appartiens à l’été
à la terre
au souffle des vallées
à l’impatience de vivre.
6/8/2006
(mémoire du parc de Marly)
Il avait vu se consumer un lit aux abords de la décharge publique. Venant de la rade, il ne saisit que des images sans suite. Une femme, la falaise.
Il se souvient d’un visage, en marge de la fête, là où le parc se perd dans le lierre. L’ ange noir l’y avait conduit, et laissé. Une musique d’acier prenait le vent.
Le matin du départ, à sept heures, ils burent un café à Versailles avec l’architecte. Après ce fut un embarquement, les îles anglo-normandes, des cheminées d’usines, des passants fantômes, mineurs peut-être, en grisaille et tendresse.
Un temps d’âmes fractionnées,
les corps restant serrés en leur peau.
*
Plus tard il revint à l’atelier, limite Est du parc. Une fine poussière sur les bois vernis, la théière rouge posée près du miroir. Deux cerisiers, troncs noirs, le préservaient. De quels regards ? Il avait plu. Si froid dehors, partout.
un instant
le modèle jaillit dans son écrin
sa nudité frisson de mort
et
des mains employées
aux lignes
du temps.
Où aller, en un seul point,.
jusqu’où marcher
et que s’accomplisse le deuil ?
Revenaient sans ordre l’exactitude d’une offrande, des bouts d’azur, l’étonnement de vivre, une table baignée de soleil, tant de mots fondus en promesses, ce que les arbres ne peuvent dire, le feu d’une allumette, la brise qui l’éteint.
Assis exactement où vous étiez
(une terrasse sous la voie lactée)
votre peau les musiques
qui nous faisaient pencher
de suite on joue la vie la mort,
et c’est prières de grillons
ailleurs il pleut
nos corps batraciens argumentent
sans aucune maîtrise
ne posez plus de question avez-vous dit.
(mais que deviennent les chiens
privés d’inquiétude)
on abandonne la partie
puis on récidive
bien réfléchi
aux confins du monde
s’il faut cerner l’avenir
on jouera à « quelque part quelqu’un »
puis à « quelqu’un quelque part »
on se souviendra
de la nuit du transit
comment aménager le provisoire
d’un univers déménagé
l’homme est arrivé
Il voulait mesurer le visage de l’autre
Présent
le regard de l’homme portait au-delà
devrait-il s’étourdir d’une attente
l’autre aurait voulu connaître
les yeux de son ivresse
Il a décliné l’offre
douce la nuit
c’était une maison aux volets bleus
par la fenêtre ouverte
le sifflement du ruisseau
(ou celui des arbres)
– « quel diable d’homme »
disiez-vous –
au raz du sol dans les
lueurs ce théâtre n’était que
l’ hypothèse du néant traversant
les corps jusques aux bouches
rendre l’étreinte
à sa veste de nuit
que de silence
de doute
sous le cuivré des âmes
la même odeur
couvrait les amants
visages nichés
dans l’instant
l’un contre l’autre
sexes
en eux-mêmes
(que reste-t-il des gestes une fois inscrits au passé commun)
ce goût du fer dans les salives
les feux arrière d’une auto
s’éloignant
ce que les corps arrachés
libèrent d’emprise
ornant la rupture
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Bernard Molinié est né le 29 avril 1946. Il vit en Aveyron et en Loire Atlantique. A la fin des années 60, il rencontre les poètes Jean Digot et Christian da Silva, participe au groupe Verticales 12 et à la revue du même nom. Il a travaillé dans le champ de l’éducation populaire jusqu’en 2006 et coordonné la programmation des journées poésie de Rodez de 1995 à 2003. Il partage aujourd’hui son temps entre écriture, peinture et musique électroacoustique.
Publications :
Casier judiciaire (verticales 12, 1975)
Si loin (trames, 1997)
Photographies (in La visitation d’écriture éditions N&B, 2005)
deux nouvelles parues dans la revue EMPAN (éditions Eres, Toulouse)
N° 66, Premier jour
N° 81, Gouttes de nuit