Béatrice Bonhomme
(France)
Désert du déchaînement
sept lanières de rouge pour James Sacré
1
lieu inondé par la
lumière
l’oeil captif de son propre
regard
espace de cécité
et de nos rêves
2
sous les déchirures
du temps
faisant mémoire arrière
le temps déserté,
abandonné
3
stèles immémoriales
pages pétrifiées
pierres en poussière de sable
en mots-sable
cette glisse entre nos doigts
comme grains de sable
les allées ensablées, désertifiées
des mots
4
couleur rouge du désir
et de la langue
désert comme désir
le ciel a partie liée avec le sable
on entre dans le pays céleste du bleu
une trace rouge
vers
le nu bleu
5
perte de visage
visage poudré par le sable
écrasé sous la semelle du vent
6
errer pour reconstituer
le visage morcelé de l’absence
que ces bords invisibles
étendent au-delà de
l’horizon
7
l’empreinte du pied nu
laisse une trace
derrière les pas
la trace d’une page
évanouissante à la vue
les mots pour redonner
un lien à l’espace
délié du désert
désert impénétrable du livre
Cèdre bleu
ville noire aux confins d’un château prison sombre de douves graffiti exposés dans cette ville déserte seuls leurs pas résonnent personne à rencontrer
ville noire aux confins d’un château prison sombre des douves graffiti exposés dans cette ville déserte seuls tes pas résonnent personne à rencontrer
dans la ville déserte, seuls tes pas résonnent personne à rencontrer tu ne pouvais t’arrêter de pleurer
irréalité d’un colloque poésie qui se perd à se dire
dans les dédales de l’hôtel sommeil cauchemar au sein de la ville noire je tiens ta main tu n’arrêtais plus de pleurer
dans la ville déserte, seuls tes pas résonnent personne à rencontrer
Signes jusqu’à l’éjaculation trismique de cette fleur blanche bordée de faux, jaillie, coupée en plein élan,
l’arbre bras victorieux vers le ciel, bleu cèdre légèrement teinté, poudré de blanc, mort dans l’odeur sucrée, souffrante, de sève martyrisée, et la pomme (le fruit gluant de sève nage au fil de l’eau) cueillie par un enfant. Odeur sucrée de septembre encore bleu, éclatant mistral saupoudré de cèdre bleu.
J’ai peint sur le mur arraché l’éclatement bleu de l’arbre que l’on tranche à vif, saignant.
J’ai utilisé les marges du mur, le papier arraché a laissé la colle rose, comme des nuages où l’aube rosit encor.
Dans les espaces, j’ai mis du bleu, le bleu du ciel ou de la mer ou plutôt le bleu de cet arbre tranché, cèdre saignant qui lâche tous ses fruits et ses petites pommes encore gluantes de sève.
Pitoyable, allongé et jeté dans une benne, et qui saupoudre où il s’est posé de vert pâle si clair, qui voulait vivre et renaître encore, cèdre éternel.
Les enfants ont ramassé les petites pommes gluantes, encore, de souffrance et de sang. Le sang de l’arbre, ramassé au fil de l’eau, qui s’écoule et rend toutes choses égales.
L’arbre résigné à terre, couché et tout le monde passe, en sautant par-dessus. Les petites pommes si gluantes, si rares, ramassées comme des trésors d’une naissance qui ne viendra plus, dans la main d’un enfant.
Sauvages
I
Tu restes sur les contreforts ailés,
des restanques
ma délicate où s’éparpille ta
secrète jouissance
tu demeures
tu restes sur les contreforts du passé
bleu de rêve
la nuance de ta possession
II
Tu demeures sur les ailes blondies
de la mer, ma délicate, dont
l’humble jouissance éparpille
les étoiles
mendiant d’amour posé sur le
coeur gros des tournesols
le visage écarté en coeur de soleil ou de chagrin
tu ouvres la bouche la mer
sur ta secrète jouissance
III
Tu demeures posé sur les contreforts du rêve
j’ai longtemps attendu ton espace
l’espace de ton corps qui emplit
le silence,
un plein dans un creux
un en-creux
Tu reposes désormais sur les
tombes des contreforts
ma délicate éparpillée secrète dans
l’éclatement bleu foncé d’une jouissance
IV
Tu reposes, allongée sur les tombes
ailées tu accueilles l’espace
le temps n’est que le temps
rien d’autre, toujours perdu,
passé
V
je suis venue t’attendre
là où dans ta musique, j’éparpille
tes cendres
je n’ai jamais pleuré ta mort
ma pure, ma délicate,
et le temps des larmes passait
VI
je n’ai jamais pleuré ta mort
qu’aujourd’hui le temps des larmes,
allongée sur la tombe de ton enfance
tu reposes
à la fenêtre ouvre les bras
ma tendre, ma délicate
ma jouissante éparpillée sur les
tombes de ton silence
VII
je n’ai jamais pleuré ta mort
Lourmarin, tu es ma femme
il a dit tu es ma femme
il a bu la coupe à même
les doigts sonores d’étoiles
VIII
je n’ai jamais su les potagers
des tombes bleuissant
les pourpiers, artichauts bleus
je n’ai pas su les allées
de chrysanthèmes
et la couronne de porcelaine brisée
IX
Je n’ai pas su ma grand-mère
à la fenêtre, en tablier
il n’y a que le tablier
de mousse sur la tombe
mon enfant bleu de rêve
ma douce, délicate et jamais
jouissante
tu pleures sur les contreforts
de la mer
X
je n’ai jamais su arrêter
le film, il aurait fallu en
finir et éclater la tête
d’étoiles
recueillir ma douce, ma
jouissante et la rejoindre
sous la terre
XI
je t’ai attendu,
sur les contreforts de la mer
tu avais le bleu de profil
et tu bandais l’étoile
tu écartelais les vagues
possédais la fleur de
ma déchirure
XII
je t’ai attendu bandant,
jeune homme pur et blessé, pénétrant dans
les vagues
le bleu saisissait ta
main de neige
XIII
j’ai perdu le dessaisissement
celui-là même dessaisi
je t’ai perdu là où repose
aux contreforts des vallées
ta main pour toujours d’étoiles
Tu as la tête dans le bleu
un seul cadre, une seule image
le sang très rouge sur un drap
reste l’aveugle de mes yeux
Il a dit tu es ma femme
perdue, tu es ma femme
-perdue, éclatée, jouissante
tu ne seras jamais ma femme
Il a dit, femme perdue je t’aime
donne encore les oiseaux de
tes chants
dans la distance j’ai rencontré mon amour
jouis le temps qui prend le temps de n’être plus
XIV
j’ai erré sur les musiques
et les châteaux de mon
enfance
Il a dit, j’ai dormi sur les siestes
de brume où planaient les dormants
Il a dit, j’ai partagé des nuits sourdes
où l’espace devenait rocher
Il a dit, j’ai partagé le corps triste, le corps mou
le corps vieux qui ne sait plus jouir
Il a dit, j’ai tout partagé
de ma douleur et des souffrances
et sur les contreforts du monde
il reste ton sourire de vierge
XV
Il a dit, si souvent dans
l’espace amolli je n’ai plus cru à rien
j’ai fermé sourd-muet les tombes de mon coeur
j’ai tué les enfants, enseveli les chants
détesté la vie même
Il a dit, si souvent j’ai haï
Il a dit, j’ai tout fermé et les baisers tombaient
sur le marbre glacé
Il a dit, danse sur Lourmarin
la tombe recueillie
étoile la mer de tes sourires d’oiseaux
greluche, petite fille
petite grue, ma putain, réjouis-toi d’étoiles
et que j’ouvre les mains
Il a dit petite fille coeur en fesses
et fesses en plein coeur
il a dit ma petite tends ta bouche
princesse, ma très jolie putain,
il a dit, ma femme, mon silence, ma toute petite fille
viens que je te protège
XVI
Il a dit ma folle
viens rejoindre l’autre folle
la folie de la terre
sur les contreforts du silence
je saurai enfin j’écarterai la mort.
Le Mendiant d’amour
I
Il a dit l’écriture me traverse
et ne s’arrête plus
les mots me passent et
je ne sais plus les
prendre
dans leur vol
les mots ailés
ne s’arrêtent plus
je n’ai plus rien à faire car ils sont dans
les trous de l’étoile
il a dit c’est un mauvais
passage, un mauvais livre
un écrivain raté, je ne sais
plus les prendre
où vont donc les mots
qui me traversent
qui traversent ma tête
trouée, étoilée
il a dit ce n’est rien,
ces mots, elle les recueille
dans le creux de ses mains
ces mots elle les redit dans l’aile
d’un poème
ces mots planent sur elle
la folle, la rebelle
ces mots, je les retrouve
dans le pli de sa bouche
dans l’aile de son arc
il a dit ce n’est rien
je préfére tout perdre
et qu’elle, elle les
recueille petits châteaux
de mer sur le sable
des plages
car il a dit je l’aime
la pythie, la folle
celle qui ne sait rien
et me prédit la mort
car il a dit je l’aime
depuis le temps que j’erre,
et tout abandonné même les pages
et les mots
pour une seule danse d’elle
II
J’ai commencé de perdre
comme les mendiants d’amour
et perdent leur chemin
j’ai perdu ma maison qui
n’avait que trois portes et
les pies s’emparaient des trésors
aux grillages
j’ai perdu ma famille qui
n’avait que silence,
et la colère grondait dans le parc
des mages
j’ai perdu une femme
dans les plis de folie
une fille petite qui
dansait sur les cordes
j’ai perdu mes parents
ma mère la traîtresse
mon père toujours noble
et beau dans son silence
j’ai tout perdu, il dit,
prends-moi comme je suis,
petite-fille, toi, je t’ai toujours offert
ce grand trésor, tu sais
il dit j’ai tout laissé
tout perdu mes amis pour une évaporée,
une infidèle folle
comme je tendais la cage et dorais les barreaux
elle a fui dans la mort
et j’ai perdu aussi
la petite fille d’ailes
celle pour qui toujours
je quitterai le temps
désormais je suis le mendiant
de ses rêves, sur les chemins
partout je traîne ma folie
et elle n’a pour pays que mes yeux de mendiant
elle n’a pu s’échapper
la petite fille folle
que morte sur l’aile pure
de toute liberté
Tu n’as jamais été aussi jeune
depuis que tu ne comprends
plus rien au temps
III
Prisonnier de la tour
tu acceptes la faux blanchie
comme une couronne de
gerbes sur la pauvre tombe
Prisonnier de l’amour
tu as si peur de vivre
elle est couchée, flétrie
les voitures passent comme
les sillons du temps
ici à la fois le temps s’arrête
hors du temps et s’écoule
-jamais plus qu’ici
le temps s’écoule, les maisons fermées
les gens sont partis
mais le temps arrêté, le temps dilaté
retour sans cesse à cette enfance
Prisonnier dans la tour tu vis
au rythme de son pas quand
elle approche de la césure et de ton manque
tendresse toujours en marge
Vue sur les toits, balcon de fer
Le lit est toujours trop près
le lit du lit, la table de la table
et nous cherchons toujours ailleurs, plus loin
la maison est toujours trop près
la maison de la maison
mais c’est ailleurs, plus loin
très près, très loin
j’attends près de la margelle,
il suffit de me pousser
mélodie de vingt ans plus tard
et de tous ces jours vécus partagés
dans la même attente
jamais réalisée de toi
il dit je t’aime au jour renouvelé de nos premières noces dans le seul désir de te rendre chaque jour plus légère, plus heureuse
tu as le coeur des silences comme le bleu pourpre des artichauts
pourquoi aimes tu le bleu matin des potagers
et la mousse rouillée des tombes
couleur de coquillages gris fer
et goût d’huitre
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Béatrice Bonhomme est née le 29 juin 1956. Elle est poète et professeur à l’Université de Nice. Elle a fondé avec Hervé Bosio la Revue Nu(e), qui publie des poètes contemporains depuis 1994 et elle a accueilli à Nice de très nombreux poètes pour des lectures ou des manifestations autour de la poésie.
Après une thèse sur Pierre Jean Jouve, elle s’est spécialisée dans le domaine de la recherche sur la poésie contemporaine et a publié notamment des articles sur Yves Bonnefoy, Philippe Jaccottet, Bernard Vargaftig, Jude Stéfan, James Sacré, Salah Stétié. Elle dirige la société des lecteurs de Pierre Jean Jouve. Elle assure à l’Université de Nice un séminaire sur la poésie et elle est responsable d’un axe de recherches Poièma.
Elle a actuellement publié une trentaine d’ouvrages de critique littéraire et de création.
Bibliographie
Poésie :
L’âge d’en haut (Traces, 1991, Préface Tristan Hordé)
Le pas de la clé (La vague à l’âme, 1992)
Lieu-dit du bout du monde (Encres vives, 1994)
In Absentia (An Amzer, 1994)
Jeune homme marié nu ( 1° édition Nue 1995, 2° édition Mélis, 2004, Préface Salah Stétié)
L’univers n’en sait rien ( 1° édition Nue, 1995, 2° édition Mélis, 2004 )
Sauvages ( 1° édition Moires, 1996, 2° édition Mélis, 2004)
Le dessaisissement des fleurs (1° édition Rafaël de Surtis, 1997, 2° édition Mélis 2004)
Journal de l’absence initiée (Encres vives, 1998)
Poumon d’oiseau éphémère ( 1° édition Moires 1998, 2° édition Mélis 2004, Préface Bernard Vargaftig)
Sabre au clair (Tipaza, 1998)
Les gestes de la neige (L’Amourier, 1998)
La grève blanche (Collodion, 1999)
Le nu bleu (L’Amourier, 2001)
Dernière adolescence (Nu(e), 2002)
Marges (Nu(e), 2002)
La fin de l’éternité (Nu(e), 2002)
Nul et non avenu (Collodion, 2002)
Photographies ( Mélis, 2004, préface Serge Martin)
Cimetière étoilé de la mer, ( Mélis, 2004, préface Claude Louis-Combet)
La Maison abandonnée, (Mélis 2006, 4° de couverture, Bernard Vargaftig)
Livres d’artistes :
La Grève Blanche (sérigraphie d’Alberte Garibbo), 1999.
L‘Embellie (9 exemplaires avec Henri Maccheroni),1999.
Femme de tulle et de pierre posée sur du papier (22 exemplaires avec Serge Popoff), 2000.
Les Chevaux de l’enfance (15 exemplaires avec Serge Popoff), 2000.
La fin de l’éternité (20 exemplaires avec Rivello-Androff), 2001.
Bleu équilibre, sans filet (2 exemplaires avec Serge Popoff), 2001.
Mémoire et métamorphose (22 exemplaires avec Serge Popoff), 2002.
Fragments d’un désert (10 exemplaires avec Françoise Vernas-Maunoury),2002.
L’incendie de l’enfance (5 exemplaires avec Thierry Lambert), 2002.
Pierres Tombales (8 exemplaires avec Marie-José Armando), 2003.
Le Premier bleu (3 exemplaires avec Arnaud Lamiral), 2004.
Unitas multiplex suivi de Aleph (3 exemplaires avec Maurice Peirani), 2004
18 Route de Maillet à Cluis (5 exemplaires avec Maurice Cohen), 2005.
La Claire ( 50 exemplaires avec Albert Woda), 2005.
Présence de la pierre ( 20 exemplaires avec Mireille Brunet Jailly), 2005.
Sur la trace légère de quelques oiseaux (20 exemplaires, avec François Garros), 2006.
Essais :
Jeux de la psychanalyse, initiation, images de la femme dans l’écriture jouvienne (Minard, 1994)
Le roman au XX° siècle à travers dix auteurs (Ellipses, 1996)
La mort grotesque dans les oeuvres de Jean Giono (Nizet, 1996)
André Malraux : La Condition humaine (Ellipses, 1996)
Jean Giono (Ellipses, 1998)
Salah Stétié en miroir (Rodopi, 2000)
Actes de Colloque :
Pierre Jean Jouve Actes de Colloque international, Université de Nice Roman 20-50, Novembre 1994.
Don Juan, Actes du Colloque de l’Université de Nice, Publications de la Faculté des Lettres de Nice, 1993
Giono autrement, l’apocalyptique, le panique, le dionysiaque, Actes du Colloque de l’Université de Nice, Publications Université de Provence, Mars 1995.
Un divertissement royal d’après Jean Giono, Actes du Colloque de l’Université de Nice, Publications de la Faculté des Lettres de Nice, Mars 1996.
André Malraux, Actes du Colloque de l’Université de Nice, Publications de la Faculté des Lettres de Nice, 15 Mars 1996.
Claude Simon, Actes du Colloque de l’Université de Nice, Publications de L’université de Bourgogne, collection "le texte et l’édition", en collaboration avec Michel Erman, 1997.
Samuel Beckett, Actes du Colloque de l’Université de Nice, Publications de la Fac des lettres de Nice, Janvier 1999.
Yves Bonnefoy, Mars 2000
Poésie et Philosophie, Mars 2001
James Sacré, Mars 2001
Poésie et Rythme, Mars 2002
Henri Meschonnic, Mars 2002
André Verdet, Mars 2003
Jean Paulhan et les poètes, Mars 2003