Barbara Traber
(Schweiz-Suisse-Schwitzerland)
Drei Miniaturen aus «D Zyt aahalte / Arrêter le temps»
Übersetzungen ins Französische: Corinne Verdan-Moser
Heitiwald
Summer im Wald
es Meer us Heitistude
zwüsche Tanne u Moos
zmittsdrin ds Chind
wo si geng no isch
mit blau verschmieretem Muul
ohni Angscht vor Märligstalte
beidi Händ voll Beeri –
wi we si grad e Schatz gfunde hätt
Myrtilles forestières
L’été, la forêt
entre pins et mousse un tapis bleu
des buissons de myrtilles comme un océan
et en son milieu, l’enfant
qu’elle est encore
la frimousse barbouillée de jus sucré
sans crainte des créatures de contes de fées
les deux mains pleines de baies
elle vient de trouver un trésor
Blueberry forest
Summer in the forest
an endless carpet of blueberry shrubs
between firs and moss
right in the middle of it the child
she still is
with a smudgy blue mouth
fearless of fairy tales
both hands full of berries –
as if she had just found a treasure
(English translation : Barbara Traber)
Es längt
Ds Salz gäge Glattys isch fasch usggange, u ds Holz reicht chuum meh zum Yheize. I ma nümm jede Morge Nöischnee wägschufle, wott kener Wätterbrichte meh ghöre, wo mer es Töif aakündige, ertrage Tämperature unter Null u ds verfüererisch hälle Glitzere u Knirsche under de Schuesole nümm lenger.
I ha eifach gnue vom Winter!
’s isch höchschti Zyt, d Schwalbeli zrüggzpfyfe, dass Farb i ds Ganze chunt, es müesse nid dyni blaue Bänder sy. Ja, dii meinen i, Früelig, mynetwäge Lenz, we dir das lieber isch. Aber bitte mach vorwärts, schick Wermi o uf d Schattsyte, bis ds letschte Hüüfeli Schnee gschmulzen isch.
Mach, dass es tropfet u tröpfelet vo de Decher, Böim u Büsch. La d Bäch u d Flüss la aaschwelle u d Wurzelchind us em Bode schnaagge u hol d Radisli u d Spargle füre.
Ras-le-bol
Je n’ai presque plus de sel de déneigement, presque plus de bois de chauffe. Je n’en peux plus tous les matins de déblayer la neige fraîchement tombée, je n’en peux plus d’écouter les bulletins météo annonçant une nouvelle dépression, je n’en peux plus des températures négatives – je n’en peux plus du scintillement enchanteur de la neige crissant sous mes semelles.
Ras-le-bol de l’hiver !
Il est grand temps de rappeler les hirondelles, qu’elles retrouvent les vieilles tours, de redonner des couleurs au paysage tout alentour… Oui, c’est à toi que je m’adresse, printemps – ou renouveau, si tu préfères – mais fais vite, réchauffe les ubacs aussi, jusqu’à ce que le dernier petit tas de neige ait fondu.
Que s’égouttent goutte à goutte les toits, les bois, et les buissons à l’unisson, fais gonfler torrents et rivières, pousse les tendres pousses hors du sol, que surgissent asperges et radis dans les potagers reverdis.
Aufforderung
Das Salz ist fast ausgegangen, und das Holz reicht kaum zum Einheizen. Ich habe es satt, jeden Morgen Neuschnee wegzuschaufeln. Ich mag keine Ankündigungen von Tiefs mehr hören, ertrage Temperaturen unter Null und das verführerisch helle Glitzern und Knirschen nicht mehr.
Ich bin winterüberdrüssig!
Höchste Zeit, die Schwalben zurückzupfeifen und Farbe ins Ganze zu bringen, es müssen nicht deine blauen Bänder sein. Ja, dich meine ich, Frühling, meinetwegen Lenz, wenn dir das lieber ist. Aber bitte mach vorwärts, erwärme auch die Schattenseite, bis das letzte Häuflein Schnee geschmolzen.
Lass es tropfen von Bäumen und Sträuchern, lass Bäche und Flüsse anschwellen und die Wurzelkinder aus dem Boden kriechen und hole Radieschen und Spargel hervor.
(Übersetzung ins Deutsche: Barbara Traber)
Holzwäg
Hie und da het’s no e letschte roten Öpfel amene Boum, e Spätzünder, wo bim Abläse vergässe worden isch. I schuene dür ds Loub wi düre Schlick vomene Wattemeer u frage mi undereinisch, öb sech‘s würklech lohnt, uf d Wält z cho u z wachse u scho gly es Hüüffeli Äsche z wärde wi di guet glagerete Schytli vo Tanne u Bueche i mym Schwedenofe. Aber Holz wachst geng wider nache.
Vilicht bin i uf em Holzwäg. I ha geschter zwöi Ster Schytli ufbigelet, Vorrat für e Winter – mit eren Usduur, won i süsch nume bim Schrybe ha.
L’arbre et la forêt
Ici et là, les dernières pommes rouges, mûries sur le tard et oubliées à la cueillette, attendent sur les branches dénudées. J’avance dans les feuilles mortes, comme dans le limon à marée basse, et je me demande si ça vaut vraiment la peine de naître, de grandir, pour bientôt devenir un petit tas de cendres, comme au fond de mon poêle suédois les bûches de sapin et de foyard. Mais le bois, ça repousse…
Peut-être que je m’égare dans cette forêt qu’un seul arbre parvient parfois à me cacher. Hier, j’ai empilé deux stères de bûches, ma réserve pour l’hiver, avec une persévérance dont je ne fais preuve par ailleurs que pour écrire.
Holzweg
Da und dort noch ein roter Apfel, übrig gebliebener Spätzünder. Ich wate in flammendem Laub wie durch Schlick eines Wattenmeeres und frag mich, ob es sich wirklich lohnt, auf die Welt gekommen zu sein, zu wachsen und schon bald zu Asche zu werden wie die gut gelagerten Scheiter von Tannen und Buchen in meinem Schwedenofen. Die jedoch wachsen in den Wäldern unaufhaltsam nach.
Ich bin vielleicht auf dem Holzweg, habe gestern zwei Ster aufgeschichtet für den Winter, der naht, mit jener Ausdauer, die mir sonst nur das Schreiben abverlangt.
(Übersetzung ins Deutsche: Barbara Traber)
Le mot de la traductrice Corinne Verdan-Moser
Les deux textes Holzwäg/L’arbre et la forêt et Es längt/Ras le bol, nous permettent d’examiner les particularités inhérentes à une traduction du bernois, ce beau dialecte suisse alémanique aux sonorités rondes et chaudes. Tout d’abord, il s’agit de traduire une langue, dialectale certes, mais c’est une langue en soi, avec les difficultés traductives que l’on retrouve quelle que soit cette langue (fidélité au texte et liberté du traducteur pour en faire une recréation idiomatique dans sa langue).
De plus, avec le bernois, il y a une musicalité spécifique à laquelle l’auteure, Barbara Traber, est particulièrement attachée. Comment dès lors la transposer en français en évitant l’impasse d’un texte en vaudois (ce qui serait ici caricatural) ? Avec les outils stylistiques du français : allitérations, rimes internes, suivies, embrassées, croisées, assonances, réduplications, anacoluthes, syncopes, etc.
Concrètement, cela donne ceci :
Holzwäg
Les dictionnaires bilingues ne donnent en général pas d’équivalence du terme ambigu Holzweg, mais une phrase d’exemple : auf dem Holzweg sein faire fausse route, se tromper, faire erreur. Les dictionnaires monolingues allemands précisent, en plus de son sens figuré de voie sans issue, que c’est aussi un chemin forestier aménagé par les bûcherons… En fait, quelle que soit la solution proposée parmi la sélection terminologique ci-dessus, aucune ne convient ici, car aucune ne respecte le sens et la cohésion interne du texte.
Donc il faut changer de point de vue – pour un temps – afin de mieux le retrouver plus tard : puisque l’original bernois parle d’arbre et de forêt, on peut exploiter l’univers de l’expression française de l’arbre qui cache la forêt dans le corps du texte et en utiliser une partie pour le titre. On reste dans le thème du bois, l’idée est aussi cohérente en français qu’en allemand : Peut-être que je m’égare dans cette forêt qu’un seul arbre parvient parfois à me cacher, qui traduit : Vilicht bin i uf em Holzwäg.
Donc c’est par un chemin détourné (et ici plus long) que l’on arrive à exprimer le fond de la pensée du texte de départ. Et c’est ça qui compte justement. Utiliser les outils et les leviers propres au français (et non pas à l’allemand) pour faire passer aussi bien une signification, un sens, qu’une émotion. Le même texte fera donc pleurer ou rire le francophone aussi bien que le germanophone, mais cet effet aura été obtenu par des moyens stylistiques et syntaxiques différents dans chacune des deux langues. Autrement dit, le contenu reste, l’emballage change.
Sauf exception ! Parfois, quand on peut, il faut changer le contenu, comme dans le texte suivant :
Es längt/Ras le bol (extrait)
’s isch höchschti Zyt, d Schwalbeli zrüggzpfyfe, dass Farb i ds Ganze chunt, es müesse nid dyni blaue Bänder sy. Ja, dii meinen i, Früelig, mynetwäge Lenz…
Il est grand temps de rappeler les hirondelles, qu’elles retrouvent les vieilles tours, de redonner des couleurs au paysage tout alentour… Oui, c’est à toi que je m’adresse, printemps – ou renouveau, si tu préfères…
Ici le texte bernois parle des rubans bleus du printemps – allusion à un vers d’Eduard Mörike, poète romantique allemand dont chaque petit germanophone a appris au moins un poème.
∼ Er ist’s ∼ Eduard Mörike (1804 – 1875)
Frühling läßt sein blaues Band
Wieder flattern durch die Lüfte;
Süße, wohlbekannte Düfte
Streifen ahnungsvoll das Land.
Veilchen träumen schon,
Wollen balde kommen.
– Horch, von fern ein leiser Harfenton!
Frühling, ja du bist’s!
Dich hab ich vernommen!
Mais en français, parler des rubans bleus du printemps, ça ne nous évoque rien du tout, on trouve ça tout au plus bizarre.
Alors il ne reste plus qu’à chercher un poème français qui pourrait correspondre à l’univers du poème allemand. Avec de la chance et du flair, on finit par trouver un homologue contemporain français de Mörike en la personne de Victor Hugo, dont tous les petits francophones ont aussi un jour appris l’un ou l’autre poème.
∼ L’hirondelle au printemps ∼[1] Victor Hugo (1802 – 1885)
L’hirondelle au printemps cherche les vieilles tours,
Débris où n’est plus l’homme, où la vie est toujours;
La fauvette en avril cherche, ô ma bien-aimée,
La forêt sombre et fraîche et l’épaisse ramée,
La mousse, et, dans les nœuds des branches, les doux toits
Qu’en se superposant font les feuilles des bois.
[…]
Donc on peut utiliser cette image hugolienne des hirondelles à la place des rubans bleus, et l’émotion, la réminiscence sont là, aussi pour le francophone, qui est renvoyé à son grand poète romantique à lui. De plus, les hirondelles figurant aussi dans l’original bernois, la traduction réalise une double référence croisée, ce qui est assez amusant.
Bref, c’est ainsi que l’on jette des ponts et des passerelles par-dessus la Sarine[2] – ou le Rhin – pour rapprocher et enrichir celles et ceux qui les franchissent et leur faire découvrir, si ce n’était déjà fait, qu’ils ne sont pas si différents les uns des autres.
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[2] Rivière suisse considérée plaisamment comme étant la frontière symbolique entre Alémaniques et Romands
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BIO BARBARA TRABER – Deutsch
Barbara Traber, geboren 1943 in Thun. Handelsschule, Auslandsaufenthalte in London, Lagos, Paris. Lebt in Worb b. Bern.
Freie Autorin, Journalistin, Übersetzerin, Herausgeberin von Mundartliteratur, Lektorin, Redaktorin. Publikationen: Lyrik, Romane, Erzählungen, auch in Mundart (Berndeutsch), Sachbücher. Zuletzt: Vo naachem u vo wytem. Bärndütschi Gschichte, Landverlag Langnau 2013 und Für immer jung und schön. Olga Picabia-Mohler (1905–2002). Eine Annäherung, Zytglogge Verlag 2014.
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BIO CORINNE VERDAN-MOSER – Deutsch
Corinne Verdan-Moser, die mitten in den Waadtländer Rebbergen wohnt, versteht, spricht und liest seit ihrer Kindheit Berndeutsch. Als perfekte Bilingue hat sie die Miniaturen der Bernerin mit grossem Einfühlungsvermögen und mit Gespür für Nuancen in den beiden Sprachen kongenial ins Französische übersetzt: ein Glücksfall. Meist ist kaum mehr erkennbar, welche Variante besser ist, das Original oder die Übertragung. Auf diese Weise ist ein Dialog über die Sprachgrenze entstanden, eine Brücke, die trägt und bereichert.
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BIO BARBARA TRABER – Français
L’écrivaine bernoise Barbara Traber a une affinité particulière non seulement avec le suisse-allemand, mais également avec la langue française, tant son écriture est claire et élégante. On s’en aperçoit à la lecture de ce qu’elle nomme ses « miniatures » en prose lyrique, des textes courts en dialecte bernois. En quelques lignes apparemment anodines, elle sublime un moment, une impression, une description de la nature ou une ambiance pour en faire un microcosme poétique. Partant d’une situation concrète et immédiate, ses considérations recèlent souvent un double sens et se concluent par une chute ou une pensée philosophique, parfois teintées de mélancolie ou pimentées d’humour. Semblables à l’esprit des haïkus, ses textes sont rythmés par les saisons qui y jouent un rôle important et symbolisent le caractère éphémère de la vie.
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BIO CORINNE VERDAN-MOSER – Français
La traductrice Corinne Verdan-Moser, née sur les rives du Léman, comprend, parle et lit le dialecte bernois depuis l’enfance. Parfaitement bilingue, elle a traduit en français les miniatures de Barbara Traber avec une intuitivité très fine et un sens aigu des nuances dans les deux idiomes – parfois, on ne sait plus si c’est l’original ou son adaptation qui constitue le texte de départ. Ces textes à deux voix créent un dialogue enjambant la barrière des langues, tel un pont qui relie et enrichit celles et ceux qui le franchissent.
Barbara Traber: D Zyt aahalte – Arrêter le temps
Miniature – Miniature
Traduit du bernois par Corinne Verdan-Moser
ISBN No 978-2-940248-63-6 © Copyright 2017 – Le Cadratin, Vevey
Achevé d’imprimer sur les presses de l’Atelier du Cadratin, à Vevey
par une belle journée de printemps 2017.
Tiré à 308 exemplaires le tout constituant l’édition originale, soit :
8 exemplaires marqués de I à VIII
Accompagnés d’un dessin original de Danièle Raess
et 300 exemplaires numérotés de 9 à 308
Mit / avec
CD: 12 Beispiele / extraits
Gelesen durch die Verfasserinnen / lus par les auteures
Aufnahme – Enregistrement: AudioWorks GmbH, 3097 Liebefeld
Siehe / voir: http://www.audioworks.ch/arbeiten/arbeiten/